« Il nous suffit de très peu pour nous sentir vivants sur la terre. De très peu. C’est là toute notre gloire. »
Entre Haute-Loire et Lozère. Retour en Margeride, dans le Pays natal. Récit des années d’enfance passées dans cette campagne reculée.
L’auteur exprime le besoin de remettre ses pas d’adultes sur ses premières traces d’enfant et de réinvestir les lieux qu’elles ont foulés : retrouver la sensibilité d’alors, le regard chercheur de beauté. Retour dans les ruelles du village, essence retrouvée de l’errance sur les chemins désertés de la campagne environnante. Marches, rêveries au plus près de la nature dont il ressort d’heureuses années, mais aussi une profonde solitude.
Émergence d’un tempérament solitaire, de ce sentiment d’être exilé parmi les hommes, enserré dans l’étroit étaux de l’incommunicabilité, sauf, sans doute, avec les éléments de la nature. « Parler aux arbres convient aux hommes, mais parler aux hommes convient à qui ? »
Nous voici plongés au cœur d’une terre superbe, mais aussi implacablement dure et sauvage, où vivre ressemble davantage à sur-vivre, où l’on cherche les rires, avec les morts aux trousses et le froid dans le corps. Ici les êtres semblent écrasés par le poids du monde. L’ambition n’a pas lieu d’être, meurt comme les rayons du soleil se brisent sur les murs. L’obscurité n’est jamais loin, prête à envelopper les hommes et à les ramener plus bas que terre.
Silence qui rôde, qui est là, implacablement. Ici les vies se taisent, les souffrances ne se racontent pas, ne se raconteront jamais. Nappes lourdes et dévorantes de silence qui durcissent les êtres, mais qui, à l’image du grand-père, savent aussi prodiguer des leçons de lenteur et de patience. Et c’est là également, au creux de cette brûlure interne, qu’a émergé le mouvement vers l’écriture qui n’a depuis lors jamais quitté l’auteur.
À côté du plaisir simple de respirer, de beautés suffisantes pour un cœur d’homme (le cerisier, la danse des oiseaux…) – ce perpétuel « réconfort dans les jours d’ombre noire » -, nous voici à la lisière du malheur du monde, de la catastrophe de naître. Une terre où drame et émerveillement sans cesse semblent cohabiter. Au bord du monde, dans lequel le narrateur a choisi de basculer, loin de ces contrées froides, à l’Étranger, là où rayonne le soleil, près de vastes déserts, avec le sentiment qu’il aurait pu malgré tout passer sa vie entière ici.
Parce que la vraie vie est là comme ailleurs, avec son cortège de beautés scintillantes, de drames sous-jacents, d’élans joyeux, d’ennui terrassant. Avec notre vide que nous tentons d’habiter. La même vie qu’ailleurs, seulement moins maquillée, plus à vif, plus squelettique, créant alors le désir de sentir battre davantage le pouls du réel et de mener une phrase à son terme.
Ainsi le silence s’est-il ouvert pour laisser entrer l’écriture et appeler au voyage. Le chemin, peut-être, pour parvenir à cette évidence que, selon le titre d’un autre ouvrage de Joël Vernet, le silence n’est jamais un désert.
Au bord du monde
Joël VERNET
Éditions du Laquet, coll. « Terre d’encre »
2001
128 pages
Parutions
- Webzine Plumart, n°36, décembre 2001.
- Revue L’Aleph, « Mise au Net », n°9, février 2002.