« La vraie présence au monde, c’est écouter la pluie la nuit. »
Christian Cottet-Emard nous entraîne au cœur de séquences multiples : aventures décousues, balayées plutôt par un double jeu. Va-et-vient entre deux regards braqués sur le monde, celui de l’enseigne de vaisseau Mhorn pourvue de sa lunette astronomique et celui du narrateur. Oscillation des regards, subtil jeu de doubles, grâce auquel sont captées les sinuosités du déroulement de nos vies : ce « grand variable » que constitue le tas grouillant et énigmatique des gens d’ici-bas, l’ensemble des faits et gestes qui balisent le quotidien, en somme l’agitation perpétuelle qui caractérise notre humanité. Pris dans son mouvement incessant, le monde s’emballe, adopte une cadence vertigineuse, jusqu’à donner la nausée. Tourbillon qui révèle ainsi tout ce qu’il peut avoir d’écœurant pour celui qui garde son œil de spectateur.
Au fil des cent textes qui composent l’ouvrage, l’auteur exprime combien l’usage du monde est loin d’aller toujours de soi. Difficile immersion dans la société et ses emprisonnements quasi obligatoires : rôles assignés et tâches empoisonnantes qui constituent le lot du commun des mortels. Monde de faux-semblants : fausses candidatures pour fausses offres d’emplois, faux mocassins qui ne résistent pas à la pluie, faux parapluie et faux jouets, qui n’en génèrent pas moins de vrais problèmes. Monde où l’on remplace les vieilles librairies par des centres commerciaux et où les nuages sont rectilignes. Morne constat scandé par les pas trébuchants du narrateur et sa Mhorn longue vue.
Tentatives d’adhésion. S’efforcer de prendre le pli, de se maintenir à « la surface de la vie », de lutter contre une propension profonde à la rêverie et à l’égarement…
… Tentations d’évasion. Distiller la poésie, « ce seuil de ciel qui m’attend chaque jour à la sortie », ce seuil capable d’extraire une parcelle de félicité des heures accablantes.
Aventures desquelles émergent les défaillances du goût de vivre menaçant régulièrement de maquiller la peau de plaques d’eczéma, mais aussi la quête d’une journée plus vivante, d’une journée de plénitude dans laquelle dominerait le sentiment d’une existence cohérente et unifiée.
Ainsi, par delà l’évidente vision désabusée qui émane de cet écrit, trouve-t-on également, rendus par un filtre onirique, un papillon de mer géant, des arbres fiers, des cerfs-volants indécis, ou encore tout simplement le ciel et la mer… Précieux éléments capables de faire retrouver peut-être les temps morts, « ces fissures où se dépose et s’épanouit la graine sauvage de l’instant, l’herbe folle au bord des grandes cultures mélancoliques de l’emploi du temps ». D’aventures en aventures sur le tragique balancier de nos existences, la joie n’a pas tout à fait dit son dernier mot.
Le grand variable (Aventures contemporaines)
Christian COTTET-EMARD
Editinter
2002
PARUTIONS
- Webzine Plumart, n°43/44, août-septembre 2002.
- Revue L’Aleph, « Que transmettre ? », n°11, avril 2003.