La proposition d’Alina Gurdiel à Lydie Salvayre : passer une nuit seule au musée Picasso, celui-ci exposant alors, en particulier, L’Homme qui marche d’Alberto Giacometti, artiste que l’écrivaine admire au plus haut point.
Pourtant elle rejette tout d’abord cette occasion : l’enfermement dans un musée, dans ce lieu de mise en cage des œuvres, réveille en elle une véritable colère.
« Non, je lui ai dit non merci, je n’aime pas les musées, trop de beautés concentrées au même endroit, trop de génie, trop de grâce, trop d’esprit, trop de splendeur, trop de richesses, trop de chairs exposées, trop de seins, trop de culs, trop de choses admirables. »
Puis la curiosité finit par l’emporter et, malgré ses réticences, elle se prête à l’expérience.
Il ressort de ce texte que la colère peut être bonne conseillère, pour autant qu’elle soit canalisée, comme la romancière a su le faire. Grâce à cet exercice, elle est parvenue à extérioriser nombre de rejets, telles que la marchandisation de l’art, une certaine approche de la culture dont les murs des musées représentent les intimidantes frontières. Mais, surtout, elle nous offre une introspection qui l’amène vers la figure terrifiante de son père, vers sa pauvreté initiale, autant d’entraves qui semblaient lui interdire de déployer pleinement son existence.
On mesure alors combien ces blessures sont restées en elle, mais aussi sa capacité à les transformer pour les embarquer dans son parcours créatif et existentiel, ce long chemin exigeant, cruel et exaltant.
Les pages dédiées à Giacometti sont superbes et particulièrement touchantes. Sont exprimées au plus près sa grandeur artistique et son humanité : son exigence, sa bienveillance, sa sensibilité tragique qui a su faire émerger L’Homme qui marche.
Au bout du compte, c’est la propre modestie et la profonde sincérité de Lydie Salvayre que l’on retient. Et l’on ne peut que la remercier pour ce texte à la fois torturé et lumineux.
Marcher jusqu’au soir
Lydie SALVAYRE
Stock, coll. « Ma nuit au musée », 2019
224 pages