« La seule expérience de l’immortalité de l’âme que nous puissions avoir avec sûreté, c’est cette immortalité qui consiste en la persistance du souvenir des morts parmi les vivants. »
Entrer dans la vie d’Hélène Berr, c’est suivre le cheminement d’une jeune femme, étudiante brillante et musicienne accomplie. Outre ses lectures et ses sujets de réflexion, on découvre son entourage familial, amical et amoureux. En particulier sa rencontre avec Jean Morawiecki, faite d’affinités musicales et de respect mutuel.
Mais Hélène est issue d’une famille juive et pénètre peu à peu dans le climat terrible que la guerre va imposer à son existence et à celle des siens. Port obligé de l’étoile jaune, relégation dans le dernier wagon des transports, interdiction pour elle de s’inscrire à la préparation de l’agrégation d’anglais… Les humiliations, les arrestations, dont celle de son père, les rafles. Hélène subit et observe tout en essayant de poursuivre le quotidien de sa vie parisienne – cours, travail à la bibliothèque, musique, promenades –, et d’apporter son aide (elle s’occupe bénévolement des enfants de déportés au sein de l’UGIF, Union générale des israélites de France).
Elle entame son journal en avril 1942 et, après une éclipse de plusieurs mois, en reprend l’écriture. Ce texte nous livre à la fois le regard d’une jeune femme pleine d’aspirations et son pressentiment de plus en plus grand qu’un destin terrible la guette. Ce en quoi elle a prévu de confier son journal à Andrée Bardiau, afin qu’elle le donne à Jean, son fiancé avec lequel elle n’a eu le temps de partager que les délicates volutes de leur amour naissant. Au fil des pages, on sent l’étau se resserrer inexorablement derrière ses pas. On sent que, malgré le souffle courageux de cette jeune femme, tout menace de s’effondrer d’un jour à l’autre.
Hélène et ses parents parviendront à échapper aux griffes nazies jusqu’en 1944, mais ils seront arrêtés le 8 mars. Hélène mourra en avril 1945, quinze jours avant la libération du camp de Bergen-Belsen.
Les mots intelligents et délicats de son journal nous font mesurer l’horreur de ces temps où l’appartenance à une communauté vouait ses membres à être impitoyablement broyés. Et tant pis pour l’ardeur de la jeunesse, l’élévation et la persévérance de l’esprit, la bienveillance et le courage ! La ligne de mire nazie n’entendait épargner personne sur son passage. À travers son journal, Hélène nous a au moins laissé son regard aiguisé et sa volonté de ne pas ployer tant qu’on ne la clouerait pas au sol.
Ce regard s’inscrit au plus profond de l’intériorité du lecteur et met, si besoin était, à leur juste place les salauds et les assassins. Des textes comme Si c’est un homme de Primo Levi ont su faire ressortir toute l’horreur et la froideur de la politique d’extermination des nazis. L’écriture intime d’Hélène Berr nous fait découvrir la peur montante de celles et ceux qui se savaient traqués et qui, chaque jour, se disaient qu’ils allaient sans doute devoir abandonner tout ce qu’ils s’essayaient à édifier, jusqu’à leur propre vie.
Hélène a noté. Tout ce qu’elle a pu. À nous de ne pas perdre la mémoire. De tout ce que nous devrions retenir.
Journal (1942-1944)
Hélène BERR
Points, 2009
336 pages