Les livres que j’ai aimés en 2021
Littérature, Art
Eva Baltasar, Permafrost
Roman | Verdier, 2020
Traduit du catalan par Annie Bats
128 pages
Un roman grave, écrit au scalpel et empreint d’un humour mordant.
Extrait : « Réussir son suicide tient aujourd’hui de la prouesse. Le monde est plein de malotrus diplômés en secourisme, ils sont partout, discrets et gris comme des pigeons femelles, mais aussi agressifs que des mères. Ils défient la mort des autres avec leurs massages cardiaques et leurs impeccables manœuvres de Heimlich. […] Mourir dans un coin, ça serait bien, ça devrait être possible de louer des coins pour bien mourir, sans interférences, sans bouteilles d’oxygène autopropulsées qui te tombent dessus par surprise juste au dernier moment, un coin où les mesures de sécurité te garantiraient, t’assureraient une mort comme il faut. » (p. 17-18)
Nicolas Bouvier, Routes et Déroutes. Entretiens avec Irène Lichtenstein-Fall [1992]
Entretiens | Éditions Métropolis, 2004
256 pages
Jean-Louis Fournier, Merci qui ? Merci mon chien
Buchet-Chastel, 2020
224 pages
Accompagné de sa chatte Artdéco, Jean-Louis Fournier nous propose un parcours tendre et facétieux pour remercier les animaux de l’amour qu’ils nous apportent. Et pour dénoncer l’ingratitude de nombre de nos congénères envers eux. L’on peut, avec l’auteur, reprendre ces mots de Christian Bobin : « [Il faut] leur savoir gré de poser sur nous la douceur de leurs yeux inquiets sans jamais nous condamner. »
Arnaldur Indridason, La Femme en vert
Policier | Points, coll. « Points Policier », 2007
Traduit de l’islandais par Éric Boury
360 pages
« Y a-t-il quelqu’un pour condamner le meurtre d’une âme ? »
Un texte particulièrement éprouvant parce qu’il aborde le thème de cette enfer domestique que l’on nomme pudiquement « violences conjugales ». Comme le relève Mikkelina : « Voilà un mot bien édulcoré pour décrire l’assassinat d’une âme. Un terme politiquement correct à l’usage des gens qui ne savent pas ce qui se cache derrière. Vous savez ce que c’est, de vivre constamment dans la terreur ? »
Arnaldur Indridason, Les Nuits de Reykjavik
Policier | Points, coll. « Points Policier », 2016
Traduit de l’islandais par Éric Boury
360 pages
« Avant de s’endormir, il avait longuement pensé à cette jeune fille de l’École ménagère et à la disparue de Thorskaffi en se demandant si ce n’était pas sa passion pour les destins tragiques qui l’avait conduit à s’engager dans la police. »
Erlendur n’est alors qu’un simple agent de police, mais, intrigué par la mort déclarée accidentelle d’un clochard prénommé Hannibal, qu’il avait rencontré à diverses reprises lors de ses patrouilles de nuit, il entame une enquête discrète.
Suivant les investigations du jeune policier, se dessinent déjà les traits saillants de sa personnalité : un intérêt pour les êtres disparus et un tempérament sombre. Alors qu’Erlendur observe la vagabonde Thuri monter dans l’autobus pour se laisser conduire au hasard, Indridason écrit : « Sa vie était un voyage sans but et, en voyant l’autobus s’éloigner de Hlemmur, Erlendur avait presque l’impression de se voir à sa place, voyageur solitaire et sans but, condamné à une éternelle errance dans l’existence. »
À l’issue de cette première enquête officieuse, menée avec succès et opiniâtreté, la commissaire Marion Briem invite Erlendur à la rejoindre à la brigade criminelle. À suivre dans Le Lagon noir.
Arnaldur Indridason, Les Fantômes de Reykjavik
Policier | Métailié Noir, coll. « Bibliothèque nordique », 2020
Traduit de l’islandais par Éric Boury
320 pages
Une construction du récit magistrale. Les enquêtes conduites ici par Konrad, un policier à la retraite, semblent démarrer doucement, puis elles gagnent en intensité, créant un profond suspense maintenu jusqu’au dénouement.
Konrad, à l’instar d’Erlendur, parvient à se ressaisir de ses propres failles pour faire montre de compassion et rendre aux êtres martyrisés et négligés une sépulture digne.
Michel Lambert, Je me retournerai souvent
Nouvelles | Pierre-Guillaume de Roux, 2020
208 pages
Chronique de l’ouvrage publiée sous le titre « À contretemps » dans le n°27 de la revue Alkemie.
Auður Ava Ólafsdóttir, Ör
Roman | Éditions Zulma, 2020
Traduit de l’islandais par Catherine Eyjólfsson
208 pages
James Salter, L’Homme des hautes solitudes
Roman | Points, 2014
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Antoine Deseix
264 pages
« Cette première et grandiose image devait bouleverser la vie de Rand. La montagne l’aimantait, elle s’élevait avec une lenteur infinie comme une vague prête à l’engloutir. Rien ne pouvait lui résister, rien ne pouvait lui survivre. »
La prose splendide de James Salter couplée à l’exaltation des hauts sommets, entre quête de l’ultime dépassement de soi et tentation du vide.
Lydie Salvayre, La Déclaration (1990)
Roman | Points, coll. « Points », 1999
128 pages
« J’arpente mon malheur. Il est vaste et se déplace. Je marche pour perdre son souvenir dans la foule mais son souvenir est partout dans la foule. Je crois reconnaître son manteau gris au bout de chaque rue, au fond de chaque place, et mon cœur saute dans ma tête chaque fois.
Depuis qu’elle m’a quitté, je n’ai pas croisé un regard. »
« Un sang d’une légèreté de champagne bat à mes tempes et réanime des forces que je croyais mortes à jamais. Je me sens fort, décidé à vivre. C’est la première fois. »
Un texte dense, direct, qui fouille sans détour les recoins plus ou moins malodorants de nos âmes. Un texte qui sonde les cœurs blessés, dans leur oscillation essentielle : proches de l’extinction et prêts à reprendre une cadence…
Lydie Salvayre, Famille
Nouvelle | Éditions Tristram, 2021
38 pages
« Le spécialiste a dit que le fils était schizophrène. Quelle honte dit le père. Ça ne doit pas sortir de la famille dit la mère. »
Un fils schizophrène, des parents ignorants et défaillants qui s’enferment dans le déni : « avec les psychiatres moins tu en dis mieux tu te portes ». Un père épuisé, violent et alcoolique. Une mère étouffante et abreuvée de télévision, à la sauce feuilleton sentimental américain. Et un fils dont on ignore la maladie mentale, au bord de la bascule criminelle.
« Je me sens dit le fils d’une humeur homicide. Je roule la vengeance au gouffre de mon cœur. Un bon assassinat me détendrait les nerfs.
Dis-lui ses quatre vérités à cette salope ! crie la mère à Bradley lorsque Jessica sapée comme une pute lui annonce qu’elle part le week-end à Las Vegas avec une amie de bureau, tu parles ! Je suis fatigué d’être dit le fils. Y aurait-il un humain en ce monde pour entendre ce que je dis ? Ta maman est là mon chéri dit la mère. Où peut-on être mieux qu’auprès de sa maman ? »
Le drame frappe à la porte de cette Famille, sous la plume cinglante et percutante de Lydie Salvayre.
Joël Vernet, Marcher est ma plus belle façon de vivre
Notes éparses | La rumeur libre, 2021
112 pages
« La marche est mon souffle, ma plus belle façon de vivre. »
Marguerite Yourcenar, Les Yeux ouverts
Entretiens avec Matthieu Galey
Entretiens | Le Livre de Poche, 1981
319 pages
« Nous passons tous, sans cesse, par des seuils initiatiques. Chaque accident, chaque incident, chaque joie et chaque souffrance est une initiation. Et la lecture d’un beau livre, la vue d’un grand paysage peuvent l’être aussi. Mais peu de gens sont assez attentifs ou réfléchis pour s’en rendre compte. »
Philosophie
Florence Burgat, Vivre avec un inconnu. Miettes philosophiques sur les chats
Essai | Rivages, coll. « Rivages Poche Petite Bibliothèque », 2016
112 pages
Marcel Conche, Ma vie antérieure
Encre marine, 1998
160 pages
Frédéric Gros, Marcher, une philosophie
Essai | Flammarion, coll. « Champs essais », 2019
320 pages
Frédéric Gros, Petite bibliothèque du marcheur
Anthologie | Flammarion, coll. « Champs classiques », 2011
304 pages
« Philosopher, c’est faire vivre en soi le paysage de certaines questions ».
Étienne Klein, Psychisme ascensionnel. Entretiens avec Fabrice Lardreau
Arthaud, coll. « Versant intime », 2020
160 pages
« Psychisme ascensionnel » est une expression empruntée à Gaston Bachelard qui qualifie par ces termes la philosophie de Nietzsche (Cf. L’Air et les songes, chapitre V). Dans cet ouvrage d’entretiens avec Fabrice Lardreau, Étienne Klein, physicien et philosophe des sciences, revient sur sa passion pour la montagne. Celle-ci offre présence à soi, déploiement de la pensée, confrontation aux ressources du corps et à ses liens troubles avec l’esprit.
À travers son expérience de la randonnée et, surtout, de l’escalade et du trail, E. Klein a pu trouver une profonde élévation : celle de son être propre qui, s’affrontant aux lois de la gravité, accède à la beauté fascinante des hauts sommets, mais aussi du soi avec les autres à travers l’amitié et la solidarité qui se noue avec l’esprit de cordée.
Sven Ortoli, Marcher avec les philosophes
Philo Éditions, 2018
219 pages
Avec Pascal Bruckner, Cédric Gras, Frédéric Gros, Nancy Huston, Jean-Paul Kauffmann, Alexis Lavis, David Le Breton, Michel Malherbe, Michel Serres et les illustrations d’Emmanuel Guibert.
Sous la direction de Sven Ortoli.
Franz Overbeck, Souvenirs sur Friedrich Nietzsche
Éditions Allia, 2006
Traduit de l’allemand par Jeanne Champeaux
64 pages
Bande dessinée
Jean Dufaux, Christian Cailleaux et Etienne Schréder, Blake et Mortimer – Le Cri du Moloch
Bande dessinée | Éditions Blake et Mortimer, 2020
Scénariste : Jean Dufaux – Dessinateurs : Christian Cailleaux et Etienne Schréder
56 pages
Emmanuel Lepage, Sophie Michel et René Follet, Les Voyages d’Ulysse
Bande dessinée | Daniel Maghen éditions, 2016
Scénariste : Sophie Michel – Dessinateurs : Emmanuel Lepage et René Follet
264 pages
Une Odyssée au féminin particulièrement remarquable. Suivre la quête de Salomé à travers les flots, c’est entrer dans un parcours exaltant pour retrouver les toiles d’Ammôn Kasacz. Créations picturales qui sont un hommage profond à Homère, ainsi qu’à la mère de Salomé qui admirait son œuvre et berçait ses enfants de la lecture de celle-ci. Pourquoi Salomé part-elle à la recherche des peintures de Kasacz ? À vous de le découvrir dans Les Voyages d’Ulysse. L’ouvrage lui-même est un petit bijou à tous égards : le fil du récit doté d’une grande poésie, les extraits d’Homère encartés sur papier calque et la qualité graphique servie par des dessins magnifiques réalisés par Emmanuel Lepage et René Follet.