« J’écris dans l’espérance de découvrir quelques phrases, juste quelques phrases, seulement quelques phrases qui soient assez claires et honnêtes pour briller autant qu’une petite feuille d’arbre vernie par la lumière et brossée par le vent [1]. »
Avec La Présence pure, Christian Bobin a su offrir un linceul délicat et nimbé de poésie à son père atteint de la maladie d’Alzheimer. Dans un monde, le nôtre, qui a si profondément éradiqué la mort qu’il relègue nos anciens au rang de quasi-rebuts, transformés qu’ils sont en pensionnaires invisibles d’une « maison de long séjour ».
Les voilà condamnés, en raison de leur infirmité et de leur vieillesse, à errer tels de maigres fantômes dans les couloirs blafards de cette maison dont ils ne ressortiront pas. L’odeur significative des parois d’ascenseurs témoigne du caractère définitif de ce séjour : « la suée de la mort sous l’hygiène affichée de la vie [2]. »
« Je suis né dans un monde qui commençait à ne plus vouloir entendre parler de la mort et qui est aujourd’hui parvenu à ses fins, sans comprendre qu’il s’est du coup condamné à ne plus entendre parler de la grâce [3]. »
Mais, pour ceux qui gardent un œil aimant et attentif, le monde sait nous préserver sa grâce et, ainsi, nous aider à prendre par la main nos proches au seuil de la mort. « Ce qui est blessé en nous demande asile aux plus petites choses de la terre et le trouve [4]. »
Les arbres, les oiseaux, les éléments : la nature est là pour nous apporter une assise, une lumière tendre et des chants précieux.
À nous tous que la mort guette incessamment.
À ceux que la mort tutoie déjà et qui nous font ce « présent inestimable [5] » de se lier à nous.
[1] C. Bobin, La Présence pure, Cognac, Le temps qu’il fait, 1999, p. 43.
[2] Ibid., p. 36.
[3] Ibid., p. 54.
[4] Ibid., p. 16.
[5] Ibid., p. 64.
Résumé
Avec La Présence pure, Christian Bobin a offert un linceul délicat et poétique à son père atteint de la maladie d’Alzheimer. Dans un monde, le nôtre, qui a si profondément éradiqué la mort qu’il relègue nos anciens au rang de quasi-rebuts, transformés en pensionnaires invisibles d’une « maison de long séjour ».
Abstract
Christian Bobin offered a delicate and poetic shroud to his father suffering from Alzheimer’s disease with La Présence pure. In our world, which
has so profoundly eradicated death that it nearly relegates our elders to the rank of scrap and transformed them into invisible residents of a « long-stay
home ».
Parution
Alkemie. 2023 – 1 Revue semestrielle de littérature et philosophie, n° 31 – La destruction
Paris, Classiques Garnier, coll. « Alkemie », 2023
411 pages
Présentation de l’ouvrage et sommaire- Article disponible sur le site de l’éditeur à l’adresse :
https://classiques-garnier.com/alkemie-2023-1-revue-semestrielle-de-litterature-et-philosophie-n-31-la-destruction-un-arbre-devant-la-fenetre.html - Pour citer cet article :
BRUYAS (Emmanuelle), « Un arbre devant la fenêtre », Alkemie, n° 31, 2023 – 1, La destruction, p. 377-378