« Il n’existe pas de vie complète, seulement des fragments. Nous sommes nés pour ne rien avoir, pour que tout file entre nos doigts. »
Tout d’abord, une atmosphère douce, protectrice, élégante, dans laquelle James Salter nous fait pénétrer, au fil des saisons, avec finesse et un luxe de détails savamment dosés : scènes au coin du feu, bons vins, attentions tendres, mets délicats, discussions intéressantes avec des amis… Le chien qui trouve sa place, les enfants qui jouent, les histoires que l’on raconte, et le souffle aimant du couple heureux formé par Viri et Nedra autour duquel s’orchestrent ces heures chaleureuses.
Mais tout cela se fendille : ennui, incapacité à vivre ensemble malgré l’affection et l’entente quotidienne, hantise du temps. Besoin d’un autre corps, d’une autre façon d’être aimé. Parce que l’autre, la lisse, a peu à peu rendu un son creux. « Notre couple est pomponné comme un cadavre, mas il est déjà pourri », constate Nedra. On perçoit presque le bruit de tous ces craquements des lieux et des êtres tellement l’écriture est fluide, profonde, toujours précise.
On est alors saisi par le froid, mais c’est un froid juste, lucide. L’auteur ausculte au plus près toutes les séquences, importantes ou non, de l’existence de ses personnages, qu’il imbrique avec intelligence dans cette grande scène de la vanité du terme « bonheur ». Et puis il y a les véritables moments d’allégresse, les jours au cours desquels ils se débattent pour trouver un peu de réconfort et y parviennent parfois, même si c’est pour peu de temps.
Peut-on, au-delà des décombres, ne pas se recroqueviller totalement sur sa peine et parvenir à une forme d’apaisement ? Comment trouver peu à peu le rythme et les termes de sa liberté ? À suivre le cheminement de Viri et de Nedra, c’est à une telle réflexion que nous convie James Salter.
Un bonheur parfait
James SALTER
Éditions Points, Coll. « Points »
2008
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Lisa Rosenbaum et Anne Rabinovitch
395 pages